Nouvelle salve Jess Franco chez Artus Films, consacrée cette fois-ci à la fin des années 60 et aux productions Harry Alan Towers. Entre une adaptation du Marquis de Sade (Justine ou les infortunes de la vertu) et les jugements sanglants de Christopher Lee (Le Trône de feu), 99 Femmes marque la première incursion du cinéaste espagnol dans le sous-genre du film de femmes en prison. Un essai pas toujours concluant mais néanmoins passionnant et où l'érotisme attendu s'efface peu à peu devant des saillies psychédéliques et anarchistes et un discours de fond profondément pessimiste.
Dans sa définition du Women in prison ou WIP, Wikipedia nous propose cette formule d'une clarté exemplaire : « Le genre Women in prison [ˈwɪmɪn ɪn ˈpɹɪzÉ™n]1 (litt. « Femmes en prison » en anglais) est un thème particulier du cinéma d'exploitation où des prisonnières subissent des sévices dégradants afin d'exciter ou de dégoûter le spectateur. » Avec 99 femmes, l'oncle Jess se propose donc de nous exciter (un peu), de nous dégoûter (beaucoup) mais aussi, cerise sur le gâteau tiède, de nous pousser à la réflexion sur la misogynie et les profondes injustices du système carcéral, qu'il soit à la solde d'une dictature ou d'une démocratie.
Le film s'ouvre sur l'image d'une charogne livrée aux mouches sur une plage qui n'a rien d'idyllique. Trois femmes s'ont amenées par bâteau sur l'île où elles seront emprisonnées. Une rousse (l'ancienne James Bond girl d'Operation Tonnerre, Luciana Paluzzi), une blonde (la sublime Maria Rohm) et une brune (Elisa Montes) ... en tenue de cabaret ! Le tout au son de la chanson très très pop « The Day I was born » de Bruno Nicolai. Dans la cour du pénitencier, le trio est échangé contre le cadavre d'une prisonnière et « accueilli » par la directrice Diaz, petit bout de femme incarnée avec une sévérité caricaturale et presque risible par une Mercedes McCambridge aux antipodes de l'icône ultra-sexualisée de la dominatrice Dyanne Thorne, inoubliable Ilsa, louve des SS. Avant même de désaper ses actrices pour le plus grand plaisir des pervers ayant payé leur place, Jess Franco souffle déjà le chaud et le froid, entre imagerie bizarre et colorée et réalisme sordide.
Célèbre pour avoir su enchaîner séries B et Z avec une boulimie hors du commun sans se départir d'une vraie politique d'auteur, le cinéaste espagnol s'est en revanche souvent pris les pieds dans le tapis sur la question du rythme et de la direction d'acteurs. Deux reproches qui peuvent s'appliquer à ce 99 femmes où traverser la première heure sans piquer du nez ou ne pas s'arracher les cheveux devant un casting en pilotage automatique relève parfois de l'exploit. Heureusement, entre un dernier acte qui prend le large avec une évasion et une traque haletante en pleine jungle et l'implication de Maria Schell, déterminée à rendre crédible son personnage d'enquêtrice « bienveillante » (tout le contraire d'Herbert Lom, dont la prestation lunaire trahit une présence purement contractuelle), Franco relève la barre et ne sombre jamais dans les tréfonds du bis je-m'en-foutiste.
Si l'on met de côté deux scènes où s'illustre la très sensuelle Rosalba Neri, d'abord dans une étreinte saphique où la caméra balance du désir au malaise en jouant sur les focales et la mise au point puis dans un flashback ésotérique tout en jeux de lumières qui annoncent le génial, jazzy et mortifère Venus in Furs, la mise en image de Jess Franco se révèle le plus souvent fonctionnelle. Contraint par sa note d'intention et les attentes du public, 99 femmes coche avec application toutes les cases du WIP : les coups de fouet, les bagarres, les petites tenues et l'image d'épinal de la blonde enchaînée et suspendue dans une cellule crasseuse. Mais les enjeux sont ailleurs. Tout d'abord, Franco s'attache une fois de plus (et oui!) à illustrer la difficile condition des femmes, condamnées à servir de poupées pour des mâles libidineux, jetées en prison pour leurs mœurs supposés scandaleuses ou, pire encore, pour ne pas s'être laissées faire face à un agresseur. Enfin, le décor donne au cinéaste l'opportunité de se livrer à un plaidoyer contre l'injustice du système carcéral où il ne peut y avoir de dignité ou d'humanisme puisqu'il s'agit en fin de compte de jeter dans une cellule, d'isoler, de punir et de priver de droits. Et tout le film de se résumer à la tentative désastreuse et pathétique du personnage de Maria Schell d'apporter une façade acceptable en un lieu où l'acceptable, par essence, n'a pas sa place. Une évasion avortée, une révolte sans victoire et un abandon : 99 femmes se termine dans les larmes, les crachats et la résignation. Venez pour le soleil et les nanas, repartez avec un sale goût dans la bouche.




