Réunis dans un même mini coffret, Loving You et Lifeline n'appartiennent certes pas aux mêmes genres, mais ils témoignent d'une même dynamique d'émancipation de Johnnie To, cinéaste et bientôt producteur, qui constituent ici sa futur équipe et affirme sa signature.
Devenu, après une longue carrière télévisuelle, un mercenaire appliqué dédié au cinéma grand public, délivrant entre quelques comédies peu mémorables un spectaculaire et sexy Heroic Trio ou un remake des Disciples de Shaolin pour la vieillissante Shaw Borthers, Johnnie To opère un brusque revirement en ce milieu des années 90. Tourné à seulement quelques mois d'écarts Loving You et Lifeline, une fois encore commandités par la Shaw Brothers, font preuve d'une prise de distance avec les simples effets de mode du moment, et surtout mélangent les attentes les plus commerciales (l'action donc) avec de généreux ingrédients hérités du mélodrame. Ainsi, si Loving You s'ouvre sur une poursuite bien nerveuse entre un flic et un tueur sur les toits de Hong-Kong, rapidement le scénario va mettre en distance les passages obligés du polar, pour se consacrer plus largement au couple en pleine déconfiture incarné par Ching Wan Lau et Carman Lee, qui deviendront d'ailleurs des incontournables de la filmographie de Johnnie To. Le récit d'une rédemption d'un flic hostile et conjoint infidèle et odieux, qui en passe par la reconquête du goût et de l'odorat suite à un violent traumatisme crânien. Aux milieux d'une fascination étrange pour les fluides corporels (morve, pisse, sang...) Loving You célèbre les sentiments XXL avec musiques sirupeuses et grandes déclarations dégoulinantes à l'avenant. Réveillé par une dernière séquence plus musclée qui rappelle l'efficacité du cinéaste, l'essai est surtout un moyen de remodeler le célèbre Heroic Bloodshed alors en perte de vitesse et de métisser l'incontournable polar hongkongais pour lui donner un nouveau souffle, à l'instar des futurs The Longest Nite, The Mission ou Election. Outre un couple de stars déjà on ne peut plus solides et charismatiques, Loving You affiche déjà nombres de second rôles (toujours charmante Ruby Wong) voir moins visibles, mais qui deviendront rapidement des grands habitués de son cinéma, mais aussi une équipe de scénariste, monteur, assistants ou responsable des scènes d'actions qui deviendront le noyau dur de la futur Milkyway.
C'est d'ailleurs plus ou moins les mêmes noms que l'on retrouve devant et derrière la caméra pour Lifeline, dernière œuvre de pure commande de Johnnie To. Largement inspiré du Backdraft de Ron Howard, énorme succès planétaire de 1991, et battant de vitesse les désirs de Jackie Chan d'en offrir sa version locale, le film repose une nouvelle fois sur une forte composante soap opera. Il y décrit donc le quotidien d'une caserne de pompier de Hong-Kong, manifestement poissards (l'intoxication alimentaire de l'ouverture permettant de verser une nouvelle fois dans les fluides avec vomis et diarrhée), le film se concentre essentiellement dans toute sa première moitié aux petits drames de la vie personnelle de nos braves personnages. Entre deux interventions approchées avec une certaine forme de réalisme, on en découvre quelques-uns se débattant avec une paternité découverte sur le tard, des problèmes de couples ou une grossesse non désirée, tandis que Ching Wan Lau et Carman Lee, nous rejouent l'histoire d'amour impossible avec cette fois-ci de vrais accents de comédie romantique. On n'est jamais très loin de la caricature, mais cette caractérisation est surtout un excellent moyen de créer une proximité, un attachement, avec des personnages dont la vie va sérieusement être mise en danger dans la seconde partie du film. A la succession de ces vignettes charmantes ou larmoyantes, succède donc la grande prouesse du film : l'incendie d'une usine de textile. Une gigantesque séquence catastrophe de 45 minutes (!!!) durant laquelle les acteurs et cascadeurs se débattent aux milieux des (vraies) flammes, sont soufflés par les explosions, ensevelis sous les décombres, dans une succession ininterrompue de désastres en chaines où le décor s'effondre sous nos yeux. Là où le Backdraft américain jouait la sécurité à coup d'effets spéciaux, de protections en verre et de collages en tous genres, Lifeline plonge ses caméras, et donc le spectateur, aux cœurs même d'une action véritablement brûlante, intense voir improbable tant il serait impossible aujourd'hui de tourner de telles séquences sans une abondance d'images de synthèses bien lisses. Une performance mémorable dont la réussite éclatante permit d'assoir définitivement la posture de Johnnie To et d'ouvrir les portes de la Milkyway.






