Bravant les confinements et la crise du COVID, The Battle at Lake Changjin aura été l'évènement cinématographique chinois de l'année 2021. Un budget délirant, des milliers de figurants, un gigantesque spectacle guerrier signé par trois des cinéastes locaux les plus réputés entièrement dévoués au 100e anniversaire du... Partie Communiste Chinois. Joyeuse parade...
Depuis la rétrocession de Hong-Kong à la Chine continentale, le cinéma chinois a bel et bien été transformé, affichant des budgets de plus en plus impressionnants à l'image d'un marché exponentiel, mais où aussi la censure et la temporisation politique et morale est devenu une réalité des plus implacable. Comme un aboutissement de cette triste logique remisant bien souvent la créativité et l'indépendance artistique au placard, voici The Battle at Lake Changjin, entreprise pharaonique qui s'est avéré à la fois la plus coûteuse de toute l'histoire du cinéma chinois (20 millions de dollars de budget) et le plus énorme succès de cette industrie avec plus de 900 millions de $ de recettes. Il fallait bien cela pour rendre hommage à la naissance du symbolique partie communiste chinois et ravir le gouvernement actuel et son ministère de la propagande qui a directement commandité l'objet, entrainant d'ailleurs dans son sillage une participation des plus actives de l'armée de libération du peuple offrant du matériel, de la logistique et des figurants motivés à moindre coût (on dit gratuit dans ce cas là). Une grande machinerie dont le but est bien entendu de raviver la flamme nationaliste et patriotique (belliqueuse aussi ?) du peuple chinois, revisitant un épisode authentique de la Guerre de Corée où l'armée chinoise réussit à repousser les soldats de l'ONU, dirigés par les Américains du célèbre Général MacArthur, en dehors de la ligne de conflit avec la Corée du nord, installant définitivement le statut quo toujours d'actualité. Si bien entendu le belligérant US n'a rien d'un symbole de perfection moral, il est ici dépeint comme va-t-en-guerre, trop sur de lui, traitre, viandard, peu organisé, n'assurant sa supériorité que grâce à sa terrible force de frappe matérielle. Pas un mot bien entendu sur la tentative d'invasion de la Corée du nord sur la Corée du Sud, sur l'alliance trouble entre la Chine et la dictature voisine, puisque de toute façon le leader éclairé Mao Zedong est dépeint comme un chef d'état philosophe, humaniste et proche de ses hommes qu'il n'envoit au front (presque une petite larme à l'oeil) que pour protéger la liberté de tous.
Calibré à l'extrême, calculé pour ne faire rejaillir que le courage de ces braves soldats chinois, The Battle at Lake Changjin n'hésite pas entre deux affrontements à livrer quelques séquences bien larmoyantes, et douteuses, où la fraternité, l'abnégation, la conviction du brave homme du peuple, vient effacer le moindre doute d'une recrur trop jeune quand à la légitimité de l'attaque... Un sacrifice total de milliers d'homme dont certains, mort frigorifiés, seront retrouvés en positions, tel des statues de glace, par les américains en pleine retraite. Entre les moyens alloués et la réécriture totale et orientée de l'Histoire, on n'est pas loin ici des grands films de guerre hollywoodiens mais avec soixante-dix ans de retards ! Totalement écrasé sous le poids du cahier des charges, sous le miel d'une propagande aveugle et lourdingue, The Battle at Lake Changjin ne peut alors exister qu'en tant que spectacle pyrotechnique total, absurde et désincarné où des milliers de soldats quasiment anonymes (les stars Jing Wu et Jackson Yee viennent juste faire vibrer la corde fraternelle) subissent les pluies de balles, de bombes, les combats au corps-à-corps meurtriers et les contre-attaques de chars, l'assurance verrouillée au corps tandis que les images de synthèses à foisons et les angles iconiques et épiques viennent en souligner la moindre note d'héroïsme. Le spectateur en prend forcément plein les yeux, fasciné parfois par la démesure totale de la fresque guerrière offerte, mais bien malin celui qui réussira à véritablement identifier dans tout ça les personnalités de nos trois « grands » réalisateurs crédités : Chen Kaige (Adieux ma concubine), Dante Lam (The Rescue) et surtout l'anciennement révolutionnaire Tsui Hark (L'Enfer des armes, The Blade, la trilogie Détective Dee, spécialiste de la remise en cause du pouvoirs), tous adjoint d'un directeur associé au patronyme bien mandarin.
Ayant critiqué l'orientation choisie du métrage et la représentation de l'implication de la Chine dans la Guerre de Corée, le journaliste Luo Changping a été arrêté et incarcéré par les autorités. Gageons que Chen Kaige, Dante Lam et Tsui Hark, déjà signataires d'un The Battle at Lake Changjin II sorti au début de l'année, ont gagné plein de points sur l'application sociale officielle du gouvernement.





