Le plus important au cinéma, ce n'est pas de se contenter de divertir ou d'explorer la petite bourgeoise de l'appartement d'à coté, mais bien de faire une proposition. Rien que par cette démarche atypique et sa mise en image magistrale, le Vinyan de Fabrice du Welz est une œuvre indispensable.
Si le cinéma de genre francophone semble renaître peu à peu de ses cendres (doucement, tout doucement), il reste tout de même quelques barrières à abattre contre lesquelles de rares réalisateurs courageux se sont largement fracassés le nez. A l'instar de Fabrice du Welz sur Vinyan, véritable four lors de sa sortie en salles il y a quelques mois, uniquement parce que le cinéaste n'a pas hésité à brouiller les frontières. Après le trivial mais effroyable Calvaire, du Welz transforme donc son remake avorté des Révoltés de l'an 2000 en quête tragique autour d'un couple explorant la jungle birmane pour retrouver leur fils disparu dans le tsunami de 2004. Encore une histoire de deuil (comme Calvaire donc) où l'effet « mandale dans la troche » laisse place à une caméra plus caressante, plus langoureuse, et finalement bien plus violente. Pas d'humour ici pour respirer, juste la douleur de deux personnages dont l'amour se dissoud devant les yeux du spectateur, entre la résignation, la culpabilité, puis la haine et le rejet. Véritablement hanté par la figure de l'absence, justement, du corps de l'enfant (à l'image de Ne vous retournez pas), Vinyan est un métrage purement sensoriel où le physique de Béart, aussi sensuelle que maternelle, contamine irrémédiablement le film (figure du ventre, profusion du liquide, etc.) et où celui, plus nerveux, du père, devient pathétique et inutile.
En découle un drame tétanisant et habité qui permet au trop rare Rufus Sewell (Dark City) et à une inattendue Emmanuelle Béart de trouver leurs meilleures partitions, ou en tout cas une des plus intimes. Surtout que du Welz ne fait vraiment pas de cadeaux à ses personnages en les conduisant directement à l'abattoir. Un voyage au bout de l'Enfer sans retour possible où le fantastique et l'horreur phagocytent tranquillement le réalisme du dispositif initial, pour laisser place à un survival monstrueux digne des derniers sursauts de Cannibal Holocaust. Une métamorphose lente et insidieuse amenée par une mise en scène d'une rare subtilité, une bande sonore carrément flippante signée François-Eudes Chanfrault (Haute Tension, A l'intérieur) et un travail sur la photographie où l'on retrouve une nouvelle fois l'immense talent de Benoît Debie (Innocence, Irréversible, Enfermés dehors). Une épreuve filmique en somme, qui aurait dû prouver que l'on pouvait encore tenter un cinéma autre, éreintant. Espérons que l'accueil injustement glacial ne refroidisse pas les ambitions de Fabrice du Welz et de ses futurs producteurs.