Retour attendu du grand Park Chan-Wook qui avait mis tout le monde KO avec le renversant et sublime Mademoiselle, Decision To Leave surprend à nouveau par son étrange timidité où la finesse inventive de la mise en scène vient révéler une histoire d'amour effarouchée entre un policier et le sujet de son enquête. Une obsession méticuleuse.
Sans doute faut-il rappeler que Decision to Leave est un film policier. Le rappeler est nécessaire tant le cinéaste prend un malin plaisir à nous le faire oublier, se décalant toujours d'un pas léger et latéral des passages obligés d'un genre archi rabattu. La découverte du corps où la caméra vient s'emparer du moindre micro-indices, le face-à-face dans la salle d'entretien avec vitre sans tain, les longues heures de filatures, les faux coupables issus de la truanderie basique... Park Chan-Wook les déposent consciencieusement, mais les réinvestis viscéralement pour en faire des outils révélateurs des sentiments qui naissent ou se confrontent entre les deux amans hors normes du film. Lui est un policier tiré à quatre épingle, sérieux et presque effacé, elle épouse d'un homme retrouvé mort et qui ne va cesser de brouiller les pistes avec sensualité, fragilité et une maladresse dont on arrive jamais à savoir si elle est feinte ou non. Les interprétations de Park Hae-Il (Memories of Murder) et Tang Wei (Lust, Hacker) sont rigoureuses et véhiculent une sensation déchirante de passions irrésolues, mais c'est véritablement la caméra de l'auteur de Old Boy qui les relie constamment dans des champs / contre champs qui n'en sont jamais vraiment, dans des jeux de netteté et de flous où leur raison s'étiole, dans le mélange de décors réels ré-habités (voir le motif de la vague sur le papier peint chez Song Seo-rae), crées de toute pièces (la montagne entre numérique et décors visiblement factice) ou simplement révélés par la photographie éclatante de Kim Ji-Yong (A Bittersweet Life, Monster Boy).
Tout est fait pour accentuer le romantisme déchirant du film tout en troublant les perceptions d'un spectateur déjà bien malmené par une intrigue sinueuse, étrangement complexe où deux enquêtes vont se répondre et s'éclairer rétrospectivement, et les ruptures de ton (le collègue gaffeur et hilarant, les obsessions macrobiotiques de l'épouse...) si chères au metteur en scène et au cinéma coréen contemporain. Plus que jamais, rien n'est laissé au hasard dans Decision to Leave, superposition de détails en apparence anodins, mais en définitive systématiquement révélateurs aussi bien de la vérité de certains faits que de la vérité des sentiments qui relient le couple interdits (par leurs places dans les affaires criminels en question, par leurs couples préexistants, par leur passifs et leurs postures). Évoquant par certaines images le superbes Noces rouges de Claude Chabrol, rejouant la hantise charnelle du Vertigo d'Alfred Hitchcock, le dernier film de Park Chan-Wook est à nouveau une œuvre hypnotique, somptueuse, intensément cinématographique où le cinéaste à simplement choisit de taire, d'assourdir plus que de coutume la puissance tragique et l'excès des situations et des personnages pour ne leur laisser qu'une ultime libération. Une dernière séquence poétique et douloureuse, définitivement mélancolique et où l'esprit tortueux du metteur en scène relie tous les points qu'il avait disposé patiemment tout au long de son drame policier. Fort.


