Grand prix du jury au Festival de Cannes en 1991, La Belle Noiseuse est aujourd'hui encore saluée comme l'une des œuvres les plus importantes (et populaires) du cinéaste et membre de la Nouvelle Vague Jacques Rivette. Dense mais jamais indigeste, pessimiste et pourtant baigné dans une lumière sensuelle, ce face à face entre un artiste et sa nouvelle muse mérite bien des louanges. Pourtant, des défauts bien visibles en limite la portée, notamment une interprétation très inégale, des touches d'austérité prétentieuses et une longueur en fin de compte excessive.
Inspiré de la nouvelle de Balzac, « Le chef d'œuvre inconnu », le projet de La Belle Noiseuse réunit une fois de plus Jacques Rivette et ses co-scénaristes Pascal Bonitzer et Christine Laurent, deux ans après La Bande des quatre où le personnage de Frenofer et son œuvre supposément volée ou disparue étaient déjà cités. La note d'intention est claire et ambitieuse. Rivette entend traiter de la création artistique sous toutes ses formes, des plus anodines aux plus complexes. L'étincelle de la création, le pari, le rapport de l'artiste à son sujet, la recherche de la vérité, le sacrifice, le conflit, le rejet de la pudeur, la manière dont l'œuvre affecte ce qu'elle tente de retranscrire et même la déception. Vaste programme. Bien qu'il ne soit pas un cinéaste commerciale ou populaire, Rivette tente avec La Belle Noiseuse « d'adoucir » (du moins, en apparence) son cinéma d'auteur exigeant et de le diriger plus ouvertement vers le grand public. Il abandonne le cadre historique de la nouvelle originale (le XVIème siècle) et sa conclusion tout à fait tragique et violente pour un décor contemporain et ensoleillé, la Provence, ses jupes fleuries, ses jardins et ses cigales. Bien que se concluant sur un « Non ! » tranchant et douloureux, son épilogue s'apparente à une danse légère, presque du marivaudage. Enfin, le cinéaste confie les trois rôles principaux à des stars, des noms connus pour lequel il est certain que le spectateur fera le déplacement : l'immense Michel Piccoli dans le rôle du vieux peintre, la cultissime Jane Birkin dans celui de sa femme et Emmanuelle Béart, César de la meilleure actrice dans un second rôle pour le carton plein de Manon des Sources, dans le rôle de Marianne, la nouvelle muse, nue une fois encore sous le soleil d'un été provençal.
La durée n'a jamais été une contrainte pour Jacques Rivette (que l'on se souvienne de Out 1, sorti en 1971, et de sa durée marathon de 12h30!). De fait, La Belle Noiseuse tutoie les quatre heures de projection sans le moindre complexe, s'offrant même à l'entracte un carton titre d'une douce espièglerie. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, il est plus qu'aisé de dévorer le métrage d'une traite, le montage de Nicole Lubtchansky, fidèle collaboratrice du cinéaste, imprimant une surprenante légèreté appuyée par un travail très sensuel et organique sur la bande sonore, immersive jusqu'au vertige. La question serait plutôt de savoir si une telle durée se justifie pleinement et là, le doute est permis. Pendant une bonne heure, Rivette flirte avec le hors-sujet, trébuche sur une voix-off pédante qui contrarie brièvement le jeu de séduction de sa scène d'ouverture et sort carrément des clous lorsqu'il tente de développer les personnages qui tournent autour du trio de tête. Cela se remarque d'autant plus que David Bursztein, Gilles Arbona mais aussi Jane Birkin jouent tout simplement mal et ne peuvent jamais prétendre à une once du naturel et du charisme de Piccoli et de Béart, tous deux au sommet de leur art. Introduite tardivement, Marianne Denicourt rééquilibre le ton et les interactions mais, entre temps, Jacques Rivette s'engage dans une course désordonnée pour retrouver le cœur de son sujet.
C'est à partir du deuxième jour de pose, lorsque Frenhoffer tente de plier, au propre comme au figuré, Marianne à sa boulimie de création que La Belle Noiseuse tient (enfin!) toutes ses promesses. Tout comme le peintre malmène son modèle, Rivette tisse un lien charnel mais inconfortable avec le spectateur et son film acquiert une dimension méta tout à fait saisissante. La Belle Noiseuse ne parle plus seulement de peinture mais aussi de cinéma et la réflexion prend une tournure métaphysique et viscérale. Jusqu'à une conclusion tout à fait poétique jouant sur un secret entre un vieil homme et une petite fille, acte de pudeur et d'humilité tout à la fois.
Pour une bonne moitié, La Belle Noiseuse n'est donc pas loin d'être le chef d'œuvre promis. Pour le reste, tout est question de patience, d'indulgence et de sensibilité.





