Première incarnation en couleur de l'œuvre de Victor Hugo, Notre-Dame de Paris est aussi enfin le retour de ce classique de la littérature sur ses terres d'origine pour un long métrage fastueux, respectueux et auréolé de la poésie parfois espiègle de Jacques Prévert.
Récit mondialement connu et célébré, Notre-Dame de Paris avait déjà donné lieu à deux petits bijoux du cinéma américain avec le film muet de 1923 par Wallace Worsley rendu inoubliable par l'interprétation et le maquillage révolutionnaire de Lon Channey, puis avec un presque impressionniste Quasimodo de William Dieterle profitant cette fois de la présence de Charles Laughton et Maureen O'Hara. Mais avec cette imposante production franco-italienne le français Jean Delannoy (La Symphonie pastorale, Marie-Antoinette reine de France) veut véritablement revenir à la source et s'incarner comme l'adaptation la plus fidèle possible. Plus question de plier sous une quelconque censure et l'ecclésiastique Frollo redevient bien un homme d'église, dévot dévoré par sa rigidité religieuse et sa passion irrépressible pour la belle Esmeralda. L'origine du péché qui retrouve toute sa charge, toute son ambiguïté et son fatalisme, comme annoncé dans la reprise de l'introduction évoquant l'inscription en latin Aναγκη tracé sur les murs de la cathédrale et qui avait donné l'inspiration à Victor Hugo. Une approche plus complexe, qui embrasse à nouveau l'absence de manichéisme et de simplicité morale du roman et qui donne une nouvelle occasion à Jacques Prévert, ici co-scénariste du film avec Jean Aurenche (L'Auberge rouge, Jeux interdits...), de jouer de ses mots pour venir constamment souligner le cynisme et la cruauté de la France de Louis XI.
Un petit monde resserré mais où les puissants s'amusent de la souffrance des pauvres gens, où les hommes d'église oublient rapidement leur foi, ou chacunmoquent les tortures et exécutions mis en spectacle sur la place publique, tandis que la fameuse cour des miracles ne fait que reproduire les inégalités de la surface. Une peinture certes habilement et poétiquement dialoguée, mais néanmoins féroce, qui se dissimule sous les formes aguichantes d'un grand spectacle populaire auréolé de gigantesques décors construits dans les décors de Boulogne, un Technicolor éclatant de couleurs, de milliers de figurants et d'un casting royal. Outre quelques grands noms du cinéma français comme Alain Cuny en Frollo fiévreux, Robert Hirsch débonnaire en petit tragédien ou Jean Danet en Phoebus séducteur plus théâtral que jamais, ce Notre-Dame de Paris a bien entendu été particulièrement célébré par la présence éclatante du "couple" Gina Lollobrigida, créature libre et sensuelle et Antony Quinn, en sonneur de cloche touchant et jamais monstrueux Et tout deux sont d'autant plus convaincant que le réalisateur a choisi de garder leurs voix, et donc leurs accents, leurs donnant une distance supplémentaire avec les voix "justes", parisiennes et ironiques qui les entoures. Deux sacrifiés de l'histoire superbement incarnés et admirablement célébrés par la mise en scène certes toujours académique de Jean Delannoy, mais définitivement à la hauteur du monument et de son évocation littéraire.


