Dans la grande famille des réalisateurs dont le temps s'amuse à oublier le nom, Stanley Kramer est en bonne place. Pourtant, en quelques films (une dizaine en plus de vingt ans), il a su imposer une marque claire et concise au service de thématiques humanistes récurrentes. Tel le racisme, qui dans La Chaîne, son troisième film et sa première collaboration avec le grand Sidney Poitier, écope d'un traitement simple mais limpide.
Une limpidité largement empruntée au scénario de Harold Jacob Smith et Nedrick Young, qui leur fera d'ailleurs remporter l'Oscar l'année suivante ; deux prisonniers, l'un blanc, l'autre noir, profitent d'un accident pour se faire la belle. Une chaîne les relie entre eux et, bien que le prisonnier blanc (Tony Curtis) déteste la couleur de peau de son partenaire (Sidney Poitier), ils devront s'entraider pour échapper à leur poursuivant. Parmi eux, un shérif local obligé de faire équipe avec un officier fédéral et quelques civils qui ont clairement hâte de casser du noir. Au fur et à mesure de leur cavale, rythmée par la rugosité d'une nature sauvage et de quelques rencontres, les deux fuyards vont évidemment apprendre à mieux se connaître pour enfin s'apprécier.
Mais le but même du film n'est pas véritablement là, mais plutôt dans les éléments discrets du scénario que Stanley Kramer va utiliser avec finesse pour mieux brosser le portrait d'une société totalement folle. Comme cette musique jazzy écoutée en permanence par un des civils poursuivants, ambiance sonore incongrue pour une battue qui a en plus le don d'énerver au plus haut point les policiers qui mènent les recherches. Ou lorsque le prisonnier blanc semble enfin avoir trouver le salut et l'amour auprès d'une femme abandonnée avec son enfant et que celle-ci est prête à sacrifier son compagnon noir pour pouvoir s'évader avec lui.
Un clair/obscur permanent dans chacun des personnages rencontrés, qui trouve aussi un écho entre le jour et la nuit et renvoie bien évidemment aux peaux noires et blanches. Malin et même puissant, puisqu'au-delà de leur différence, ces deux hommes sont pourtant bel et bien prisonniers tous les deux (et jamais rien ne viendra d'ailleurs remettre en cause leur culpabilité). Un point commun qui leur permettra même d'avoir la vie sauve grâce à un ex détenu qui prendra leur parti.
En à peine une heure trente, Kramer signe donc un film essentiel, salve intelligente contre le racisme et la différence mais aussi critique acerbe d'une société qui ne tourne vraiment plus rond et à l'humanisme clairement inscrit dans son ADN, comme viendra le confirmer sa dernière scène, ultime pied de nez qui se joue des conventions de l'époque et des clichés. Un grand film, tout simplement.


