Film du retour au cinéma français pour Jean Gabin, et première et unique expérience hexagonale pour Marlene Dietrich, Martin Roumagnac n'aura pas eu le succès escompté, mais marquera surtout le clap de fin pour l'un des idylles les plus glamours de l'époque.
Elle la plus grande actrice allemand adoptées par les Etats-Unis, lui la star du cinéma français et européen exilé à Hollywood pour échapper aux pressions de la propagande nazi, et forcément un couple qui fait d'autant plus sensation qu'elle ira chanter pour les soldats alliés et lui s'engagera son sous patronyme anonyme. La guerre enfin achevée, ils se retrouvent et espère faire échos à leur histoire passionnée dans un projet sur grand écran en France. Par son sujet Les Portes de la nuit fera peur à Dietrich et tout deux se rabattront sur l'adaptation du roman Martin Roumagnac, évocation romancée de la passion dévorante entre un petit chef d'une entreprise de maçonnerie et une jolie veuve, vendeuse d'oiseau dans sa boutique, attendant la mort de la femme d'un riche diplomate. Une parisienne dans l'âme, élégante, séductrice et intéressée qui va cependant tomber sous le charme de cette homme de la province, simple et rugueux. Impossible de ne pas reconnaitre d'une certaine façon les deux interprètes dans les traits de ces personnages, lui évoquant directement ses rôles terre-à-terre et modestes qui lui correspondent si bien, elle semblant constamment déplacée par son élégance et jouant bien entendu sur ses airs glaciales de prédatrice entrés dans la légende depuis L'Ange bleu de Sternberg. D'ailleurs en coulisses, le couple prend peu à eu ses distances, lui espérant pouvoir s'installer et fonder une famille, tandis que Marlène ne trouve pas vraiment son bonheur en province et regrette déjà les studios américains où sont statut était tout autre.
Le couple ne résistera pas au semi-échec commercial du film, mais ce parallèle constant entre Gabin / Dietrich et Martin / Blanche insuffle une aura toute particulière au film et une réalité parfois troublante. Les rêves d'échappée de cette femme habituée à la vie de château et l'amour sincère que se mue en colère chez ce brave homme sonnent toujours juste, surtout lorsqu'il sont accompagné par la description d'un environnement pratiquant le « qu'en dira-t-on », les jugements moraux, la jalousie et les rumeurs acides. C'est d'ailleurs cette pression sociale, ce regard des autres, cette défiance envers ceux que l'on ne connait pas, que l'on ne comprend pas, qui aboutira au triste drame prévisible. Modeste artisan George Lacombe, petit cinéaste d'avant guerre (Café de Paris) qui perdurera jusqu'au années 70 pour la télévision, accompagne avec savoir-faire les deux superbes prestations de ses acteurs phares, capture non sans une certaine idéalisation les aspects les plus bucoliques du village de Clairval, mais manque manifestement d'une véritable présence, d'intensité et de personnalité. Un drame commun qui reste assez mineur en définitive même si la tapageuse bande originale du très rare Marcel Mirouze tente de nous faire croire, à grand renforts d'effets pompiers, à un film noir tragique.
Récit d'amour, de culpabilité et des dégâts de la rengaine populaire, Martin Roumagnac n'est pas forcément un grand classique du cinéma français, mais aura au moins réussi à capturer à l'écran le couple mythique, mais éphémère, formé par les monstres sacrés Gabin et Dietrich.

