Grande aventure humaine, technologique, scientifique et ethnologie, La Croisière jaune suivit la fière expédition Citroën au travers de l'Asie centrale à bord d'autochenilles Citroën. En 1932, découvrir les limites du monde sur grand écran tenait encore du Blockbuster.
Après une première expédition au travers du Sahara et après avoir crée l'évènement avec ce qui fut rapidement appelé La Croisière noire (traversée donc du continent africain), le grand industriel et constructeur automobile André Citroën imagina décliner l'opération aux quatre coins du monde, non pas par altruisme mais bien dans l'optique de promouvoir encore et toujours le génie français, la performance technologique. Celle des fameuses autochenilles, véhicules tout terrain ultra performants et avant-gardistes pour l'époque, qui permettaient enfin d'accéder à certaines zones éloignées du globe et de transporter hommes et matériaux dans un « confort » inédit jusque alors. Trois semaines avant l'ouverture officielle de l'exposition coloniale de Paris, le départ est donné avec une équipe démarrant son périple de Tianjin en Chine, l'autre de Beyrouth dans le projet de se réunir autour de Xinjiang. Et le second groupe dirigé par Georges-Marie Haardt et Louis Audouin-Dubreuil, qui ont déjà participé aux deux précédents raids, s'accompagne d'une équipe cinématographique qui doit permettre à André Sauvage de témoigner de la glorieuse aventure. Bien entendu tout ne se passe pas comme prévu, certains fleuves ou montagnes deviennent de véritable casse-têtes et oblige à démonter puis remonter les véhicules, les chefs de guerre des plateaux ne sont pas toujours des plus accueillants, l'équipe chinoise est prise en otage en cours de route, la guerre civile fait toujours rage en Chine et le tout s'achèvera même par le décès brutal et mystérieux de Georges-Marie Haardt (mort chronique ? empoisonnement ?).
Des épisodes réels mais qui tiennent du feuilleton, de l'épopée et qui entrecoupentla découverte de paysages époustouflants, des témoignages visuellement bouleversants, des instants particulièrement forts, impressionnants et violents aussi parfois, comme ceux des charniers découverts sur la côte chinoise. Mais le réalisateur des célèbres Etudes sur Paris, documentariste et poète, ne quettait pas forcément la performance, mais plutôt l'opportunité de rencontrer sur cette route de la soie, des peuples, paysages et cultures connues essentiellement par les romans d'aventures et les témoignages historiques. Il capture des images précieuses d'une humanité parfois encore vierge du contact avec l'envahissant occident, des peuples oubliés vivant comme leurs ancêtres dans des décors arides ou luxuriants, célébrant la vie par leurs danses, leurs chants et leurs coutumes. Une approche profondément humaniste, que Sauvage imaginait pouvoir se passer d'ajouts audio, de toute façon peu convaincu par les résultats du nouveau matériel sonore embarqué. Des décisions artistiques qui sont très loin de satisfaire André Citroën qui trouve que le premier montage présenté, après de longs mois de travail, s'avère trop long, trop silencieux et surtout ne mettant pas suffisamment sa propre personne, sa marque, mais aussi l'identité voire l'autorité civilisationnelle française. Il rachète alors les droits à Pathé, évacue le pauvre cinéaste (qui quittera alors définitivement le monde du cinéma) et rappelle le Léon Poirier de La Croisière noire pour remettre l'objet en forme et surtout y apposer un commentaire qui oscille entre le publicitaire (supportable) et le paternalisme colonial (beaucoup moins). Des heures de films disparus et surtout une optique gangrénée par un racisme omniprésent (on parle ici tout de même de "notre belle race aryenne"...) qui amoindrissent fortement la beauté de ce qu'aurait dû être cette Croisière Jaune.
Dans son montage survivant, La Croisière Jaune garde quelques fulgurances, la force d'un témoignage historique, d'une aventure humaine, dont on sait qu'on ne retrouvera jamais le premier montage, l'intensité du documentaire fleuve... Si ce n'est que l'édition concoctée aujourd'hui par Carlotta Films joue les trésors archéologiques. Mais pour ça, il faut se rendre du coté des bonus...

