En quinze années d'exploitation, le chef-d'œuvre de McT avait amassé une quantité de mythes et légendes de concernant son tournage. On parlait d'un metteur en scène étouffé sous le poids de ses responsabilités, d'un scénario gruyère écrit au jour le jour ou encore d'un sauvetage à l'arrachée de l'entreprise durant la postproduction, grâce au talent de Stuart Baird, monteur attitré de Joel Silver. L'édition vidéo définitive de Predator, qui revient en Blu-Ray, aura permis de remettre les points sur les « i ».
La version de Predator que nous connaissons correspond au seul montage jamais approuvé par le cinéaste, et les rumeurs autour d'un cut de 2h47 semblent aujourd'hui bien dérisoires, les scènes coupées enfin dévoilées étant loin de s'apparenter à des trésors exhumés. Le grand final, illustration inégalée de la sauvagerie primale à l'écran, reste donc l'enfant légitime du réalisateur, sa manière de répondre logiquement à 90 minutes de testostérone en ébullition permanente. Au vu des images d'archives offertes par le DVD, Il est clair que John McTiernan fut bel et bien le marionnettiste de cette étude faussement complaisante sur la régression de l'homme. Si les suppléments tendent à minimiser son apport au design de la production en général (lui-même est un modèle constant d'humilité à ce sujet, et aime à souligner la contribution exceptionnelle de Stan Winston), le futur papa de Die Hard semble perpétuellement collé à la caméra, autant dans les scènes de dialogues que lors du tournage des cascades. Une implication maladive qui explique sans doute le jusqu'au-boutisme expressionniste de la chose, ouvrant la voie à Une journée en Enfer et Le Treizième Guerrier.
Malgré des dizaines de visions successives et un souvenir de gosse forcément ému et nostalgique, le film de John McTiernan est loin d'usurper son statut d'œuvre cultissime et révolutionnaire. Manifeste cinématographique sur la perception du mouvement et de l'espace prenant le relais du travail orchestré depuis 1971 par William Friedkin (travail que ce dernier reprendra contre toute attente sur Traqué, après une bien trop longue absence), concentré d'horreur viscérale et d'action jouissive, pétaradante et à la limite du grotesque (un choix volontaire, comme l'explique McT dans son commentaire audio), Predator est bien plus que le comic book décérébré auquel on a souvent voulu le résumer. Joyau brut de cinéma, expérience sensorielle sur la représentation de la jungle, cette pelloche acérée tiendrait plutôt du caprice artistique ultime, John McTiernan s'amusant déjà à théoriser et pervertir de l'intérieur, près de dix ans avant Last Action Hero et Une journée en Enfer, les codes les plus fondamentaux du blockbuster. Une démarche de frondeur qui, hélas, se fait ces temps-ci de plus en plus rare.


