Quand le réalisateur d'Eraserhead et Elephant Man s'essaie au film noir, cela donne Sailor et Lula, une bande aux excès fréquents, à l'excentricité permanente et aux obsessions thématiques passionnantes.
Difficile d'appréhender un monstre filmique comme Sailor et Lula de manière cohérente. Car derrières ses apparences de polar linéaire (il s'agit après tout d'un road movie, à l'intrigue on ne peut plus directe), le métrage sert constamment de plate-forme d'expérimentation à son réalisateur, David Lynch. Celui-ci, à peine sorti du sublime Blue Velvet, déjà avec Laura Dern, cale des plans purement métaphoriques entre des images plus figuratives (notamment des craquements d'allumettes filmés en très gros plans, qui contribuent à rapprocher les deux personnages du titre), juxtapose des saynètes muettes à des dialogues qui n'ont absolument rien à voir, répète des plans énigmatiques (l'hôtel de la Nouvelle Orléans) à plusieurs bobines d'écart... Un peu comme si toute cette histoire constituait une sorte de "déjà vu" à grande échelle.
En s'en remettant ouvertement à un registre fantastique (voir la bonne fée et la méchante sorcière qui rôdent autour du couple, dont s'inspirera Danny Boyle pour Une vie moins ordinaire), Lynch parle de destin, d'évènements écrits longtemps à l'avance. L'amour fou de Sailor et Lula, souligné par des filtres extrêmes (ce rose rouge incandescent lors des scènes d'amour), ne pouvait pas ne pas être. Le film, bien que pétri des codes du polar jusque dans des sursauts de violence à la démesure grandguignolesque (une cervelle répandue sur le sol au terme d'une bagarre, une tête qui vole après un coup de fusil à pompe malheureux), se concentre finalement sur cette love story décalée et réellement touchante, bercée par les notes de guitare du King lui-même. Un grand film romantique donc, qui se paie le luxe d'interprètes exceptionnels, d'un Willem Dafoe psychotique au dentier ravagé à une Laura Dern excellant dans l'innocence sexy, en passant par un Nicolas Cage encore en parfait contrôle de son art.


