Dario Argento, lors de son âge d'or, est considéré à juste titre comme l'un des grands génies du cinéma moderne. Et si son œuvre (avant sa mort artistique) est parcourue de nombreuses réussites, un film aussi éprouvant que fascinant explose littéralement de talent et de fulgurances : Suspiria.
On a beau l'avoir vu cent fois (on en retire une bonne cinquantaine à cause de copies pourries et des versions censurées par M6), il est difficile de ne pas être hypnotisé à chaque vision de Suspiria. Une œuvre à part, un monument du septième art, un film culte pour peu que cela veuille encore dire quelque chose. Alors que l'industrie cinématographique ne prêche plus que par L'Exorciste de Friedkin et l'horreur dites réaliste, Argento choisit en 1977 de revenir aux origines du genre et en particulier à une certaine esthétique laissée en désuétude : sorcières, architecture baroque, filtres de couleurs à foison... On se croirait en plein croisement entre l'art de Mario Bava et les films de la Hammer, le tout multiplié au centuple. Car sur une structure basique clairement inspirée des contes des frères Grimm avec la métaphore du passage à l'âge adulte en toile de fond, Argento repousse les limites du cinéma en tant qu'art visuel. Explorant de fond en comble chaque centimètre de son superbe cinémascope, il restructure le réel à chaque instant et plonge les spectateurs dans une orgie de formes et de couleurs qui leur font perdre pied.
Une mise en scène appuyée, maniériste, proche de la chorégraphie, qui se révèle particulièrement efficace pour brouiller toute forme de repère fiable. Une mise en scène qui trouve son zénith avec un certain sadisme lors de meurtres d'une extrême cruauté (même pour un spectateur d'aujourd'hui), à même de glacer le sang des plus endurcis. Un effet tétanisant qui n'aurait sans doute jamais été possible sans le travail halluciné de Goblin. Ce groupe musical largement célèbre (et à juste titre) pour son travail sur Les Frissons de l'angoisse, a donc produit sous l'impulsion du cinéaste un travail purement expérimental, mélange habile entre le rock primaire, les bruitages distordus et l'electro planante à la Mike Oldfield, le tout ponctué de sonorités étranges et décalée venues des tréfonds du cerveau de Simonetti, l'imminence grise de la bande. Une piste sonore dont l'étrangeté et le décalage avec les images est savamment calculé, pour mieux jouer avec les peurs primaires et enfantines. Spectacle éclatant, d'une beauté à la fois pure et profondément horrible, Suspiria n'a vraiment pas volé son statut de référence absolue dans le genre, encore moins sa toute nouvelle copie de jeune fille.





