Les visites du répertoire de William Shakespeare sont légions et se contentent souvent d'en reprendre vaguement la trame principale et les costumes surannés. Rares en effet sont ceux qui se confrontent à la pièce initiale, aux mots ardus et anciens, comme ici Kenneth Branagh, acteur / réalisateur qui apporte intelligemment sa pierre à la modernisation d'une œuvre immortelle.
Comme le confiait volontiers Branagh (Dead Again, Peter's Friends) à chaque interview, la pièce la plus imposante de William Shakespeare, Hamlet, a eu une importance constante tout au long de sa carrière. C'est en la découvrant pour la première fois qu'il décida de devenir acteur (à dix ans !), il la joua plusieurs fois sur les planches anglaises et en fit le sujet détourné de son adorable Au beau milieu de l'hiver (où une troupe de seconde zone tente de monter la pièce). Acteur shakespearien par excellence, il s'était déjà fendu d'une superbe adaptation de la comédie Beaucoup de bruit pour rien, combinant à la fois précision du texte, liberté de ton et casting de folie (Keanu Reeves, Emma Thomson, Denzel Whashington, Michael Keaton...). Sans rien enlever à la réussite de ce dernier, adapter Hamlet sur grand écran était un challenge hautement plus corsé. Un exercice déjà tenté par nombre de studio et de réalisateurs (dont un certain Lawrence Olivier...) auquel il fallait en sus se mesurer. Mais cela n'effraie que peu Branagh et les producteurs de Castle Rock, qui justement décident pour la première fois de donner toute la mesure de l'œuvre en préservant l'intégralité du texte... aboutissant ainsi à un long-métrage de plus de quatre heures ! Si l'aspect astreignant d'une telle approche est compensée commercialement par la sortie parallèle d'une version de deux heures (assez atroce, d'ailleurs) et surtout la présence au casting de stars comme Charlton Heston (superbe monologue), Billy Crystal (génial en fossoyeur philosophe), Gérard Depardieu ou Robin Williams dans des secondes rôles remarquables, reste que la densité de l'écriture a de quoi effrayer.
Le metteur en scène choisit donc, pour dépoussiérer ou rendre plus accessible Hamlet, de le transposer dans le Danemark du XIXème siècle et surtout de s'écarter des demeures poussiéreuses et des illustrations dramatiques et sombres le plus souvent privilégiées au profit de décors grandioses, aérés, plus victoriens que gothiques. Un film qui se veut lumineux malgré le tragique de la pièce (réflexion sur le destin, la condition humaine, la mort, le complexe d'Oedipe), et laisse toute latitude à Branagh pour se laisser aller une nouvelle fois à des plans fluides, des travellings virevoltant qui paraissaient autrefois totalement hors-propos dans sa version ampoulée de Frankenstein. Des plans qui donnent ici un souffle réel, une énergie communicative à l'oeuvre. Comme un jeune premier, l'artiste s'offre même au passage le rôle-titre (alors que son âge ne correspond pas vraiment), faisant montre de son talent incroyable pour transmettre le verbe ouvragé de l'auteur tout en faisant ressortir le mélange détonnant, et incroyablement moderne, de tragique, d'humour et de folie. Une prestation exemplaire qui conditionne l'ensemble du long-métrage, cultivant les ruptures de ton, les élans presque hystériques et un défilé d'acteurs tout simplement magnifiques. Une adaptation toute personnelle mais passionnante, qui souffre tout de même de l'aspect « théâtre filmé » à de maintes reprises (l'ouverture particulièrement figée) et de quelques idées visuelles dépassées (le fantôme assez ridicules). Mais entre la justesse du jeu, la passion qui déborde de chaque plan et la puissance originelle d'Hamlet, ce film somme a de quoi rester dans l'histoire.




